Je me retrouve donc en Haute Savoie, employé comme « animateur » pour toute une saison d'été.
Cette région est magnifique. Lorsque le matin j'ouvre les volets de ma chambre, j'ai, en face de moi, cet imposant et lumineux Mont-blanc.
Cela me donne la « pêche » pour toute la journée.
Je n'oublie pas ma « mère Méditerranée » pour autant mais, il est vrai que je sens mon adolescence s'oxygéner et s'épanouir au pied de ces paysages reposants et sublimes.
Je ne résiste pas à l'envie de vous donner de petits extraits de « Montagne et amour » de Robert Christian qui compare la montagne à une femme.
« La montagne escaladait le ciel d'un bleu profond, des blocs de granit épars sur ses flancs. Une végétation dense verdissait entre les blocs gris. Face à ce monstre minéral, je me pris d'amour pour sa beauté sauvage (...) Des chamois glissaient de pierres en pierres, tels mes doigts découvrant tes monts et tes vallées. Mille fleurs printanières embaumaient. Tu exhalais aussi mille parfums que je recherchais avec le nez et la langue. La montagne dégageait Force et Puissance. On se sentait en Paix. Tu dégageais Calme, Sérénité et Charme. J'avais posé ma tête sur tes genoux. J'étais bien. »
J'étais surtout très bien dans ma peau.
Je partais régulièrement avec mes jeunes vacanciers afin de faire des balades dans notre « montagne à vaches » dont les cloches semblaient se répondre dans la vallée. Quel bonheur de manger des myrtilles et autres trésors que la nature nous offrait à chaque détour de chemins, de regarder ce ciel si bleu dans lequel les oiseaux aimaient virevolter, nous accompagnant de leurs chants.
Je garde en mémoire ces odeurs d'herbe fraîchement coupée ou celles du fumier qui donnaient envie de vomir à nos vacanciers de Paris peu habitués.
Ils devaient préférer les suaves parfums du métropolitain !
Nous montions, moi « adulte » de 18 ans, et « mes jeunes » tous les mardis vers une ferme d'alpage afin d'y passer la nuit. Après deux heures de marche, nous arrivions dans l'exploitation agricole de Madame et monsieur Périnet, vue imprenable sur tout le massif du Mont blanc. Certains s'entraînaient à la traite, combien de fois avons-nous dû expliquer la différence entre une vache et un taureau car traire un taureau n'est pas chose aisée... 
D'autres allaient chercher les oeufs fraîchement pondus avec notre hôte puis nous passions à table. La fondue savoyarde, préparée maison, était de rigueur. Goulûment, nous jetions notre pain rassis dans les poêlons, la marche, ça creuse, puis nous dégustions le fromage maison, tomme ou reblochon, avant d'aller goûter la fraîcheur de la soirée à l'extérieur.
Mais, pour beaucoup la fondue, quelque peu alcoolisée, vin blanc oblige, repartait aussi sec recouvrir l'herbe verte.
Ensuite nous chantions, jouions aux cartes, puis passions la nuit à dormir dans l'étable tous emmitouflés dans de vieilles couvertures qui nous protégeaient plus ou moins du « piquant » des botes de foin.
Quand je dis « dormir » !!! On peut rêver !
C'étaient des discussions interminables ponctuées de rires incessants.
Très tôt, petit-déjeuner. Beurre, pain, fromage et café maison ! Quel plaisir de voir tous ces jeunes si heureux communier avec la nature, avec le vrai, l'authentique. Sauf peut-être la fois où un garçon, la bouche pleine me dit :
« Qu'il est bon ce fromage ! »
Puis, faisant une drôle de tête, il murmura :
« Oh ! Il y a des choses qui bougent dans ma bouche ».
Effectivement, en regardant le morceau de reblochon posé sur la table, je m'aperçus que les asticots semblaient eux aussi l'apprécier énormément.
Je n'ai jamais vu quelqu'un sortir de table aussi vite pour aller recracher quelque chose d'aussi bon et ce, sous les rires de nos deux fermiers.
J'apprenais rapidement à aider mes ouailles à confectionner des bijoux dans notre « Atelier Emaux sur cuivre » et nous répétions les spectacles que nous proposions aux parents en soirée.
Bref, pour moi, c'était « La mélodie du bonheur ».
Les spectacles avec mon ami Coco et les membres du personnel faisaient le bonheur de nos vacanciers et le mien. Sur scène mon corps sentait l'adrénaline à plein nez et les applaudissements me mettaient dans un état second.
Mais l'été passa très vite, trop vite pour moi.
Je songeais, le moral dans les sabots, à reprendre le train à Sallanches afin de regagner la capitale et mes chères études. A moi cette terminale, à moi le baccalauréat au lycée Jacques Decour.
J'arrivais à Paris, la tête pleine de petites fleurs, la bouche au goût de miel de montagne, les yeux tournés vers un nouveau « pays » d'adoption dans lequel même les taons si agressifs deviennent vos amis.
Adieu aux innombrables rappels d'un public acquis, aux triomphes éphémères, à la joie de vivre et aux bonheurs combien de fois partagés.
Je ne résiste pas à l'envie de vous montrer la photo de celui qui fut à Paris mon premier "partenaire et ami" sur scène.
Il joua dans de nombreux films fut surnommé "Vahiné, c'est gonflé" mais quitta la vie bien trop tôt, nous laissant orphelins de son rire tonitruant et de sa bonne humeur permanente.
C'est donc lui, l'auteur de "A tout bientôt"...
Raymond Aquilon
« A tout bientôt !!! »